SAUDADE, un texte de Fatima de Castro

C’est un Portugal en noir et blanc que nous donne à voir l’œil de Stéphane Klein. Noir comme la couleur qui recouvre encore parfois les veuves, de moins en moins. Blanc comme la lumière écrasante qui illumine cette terre du bout de l’Europe, toujours intense, toujours aveuglante. Le noir et blanc nostalgique du pays de la saudade, ce sentiment national cultivé avec fierté par tout un peuple. Il fait pleurer les guitares du fado lisboète, ravive un hier encore vivace dans les mémoires, bientôt dissout dans l’inexorable course vers cette mondialisation qui nivelle les couleurs d’un pays.

Le Portugal en argentique vit encore en filigrane dans la mémoire des expatriés et de leur descendance. Les clichés ici présentés fleurent bon le souvenir d’étés en apnée dans ce monde si différent, transportés que nous étions en un ailleurs où, parfois, eau courante et électricité n’étaient qu’utopies. Ces villages perdus aux ruelles ancestrales encadrées de vieilles bâtisses aux torchis délabrés ; ces plages soudain envahies par les cris des pêcheurs et le meuglement de bovins qui peinaient à extirper les bateaux des griffes de l’océan démonté ; ces hommes, ces femmes, ces gamins qui animaient les rues de leurs interpellations et de leurs jeux, un chien, un chat passant comme si de rien n’était.. Qui, parmi ceux de ma génération, n’en garde pas la trace si nette que nous aurions pu être l’enfant sur l’une ou l’autre des ces photographies ?

Dans le souvenir, l’hier se nimbe des ors d’un El Dorado aux parfums de pin et d’eucalyptus, à jamais inatteignable. Par son regard de photographe, Stéphane Klein donne corps à ce fantasme de la résurrection. Comme la madeleine de Proust, ses clichés ravivent ce qui fut – est encore, certainement, ici et là, mais si peu. Un instantané figé de l’espace-temps à un moment donné, avec sa vie propre, son sourire, ses émotions. Seule Lisbonne, capitale de tous les mondes ultra-marins, semble insensible à ces changements qui touchent la province. Égale à elle-même, elle joue les belles devant l’objectif, offrant ses façades vivantes et colorées, ses rues criantes d’animation où surgissent parfois une étrangeté, un visage, une rencontre, habituée qu’elle a toujours été à être admirée et à se donner en spectacle.

Par-delà l’image à l’esthétisme épuré, d’une grande beauté sobre et efficace, c’est toute sa compréhension d’un pays que nous donne à voir Stéphane Klein. Il en a perçu l’âme, a su en impressionner la pellicule pour nous transporter, à travers ces saynètes, vers l’entêtant mystère de l’hier retrouvé. C’est là toute la magie de la photographie. Et nous nous laissons happer avec bonheur… et une bonne dose de saudade.

Fatima De Castro

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